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Septembre: Roberto Alajmo

Entre Palerme et Paris : le métier de la mémoire de Roberto Alajmo

Paris le conquiert immédiatement, mais pas par amour. « Je l’aime beaucoup. L’amour, c’est autre chose », avoue-t-il avec un sourire qui trahit la nostalgie et le détachement. Ce n’est pas non plus pour Palerme. « Nous nous sommes séparés. Non, l’amour, c’est pour une ville plus lumineuse, au niveau même de la lumière ».

Et Paris, raconte-t-il, c’est tout cela : le summum du romantisme, le summum de l’intelligence. C’est une ville qui sait vivre en équilibre, et ceux qui, comme lui, sont nés sous la lumière intense de la Méditerranée le perçoivent immédiatement. « Venir de la Méditerranée pour s’installer à Paris, c’est comme devenir aveugle. C’est plus difficile à accepter ».

Mais ce n’est pas seulement la lumière qui le séduit. C’est la promenade, l’homogénéité des bâtiments, la capacité des Français à intervenir dans la ville sans se laisser paralyser par le respect de l’histoire. En Sicile, en revanche, c’est l’immobilisme qui domine : « L’erreur peut exister. Le problème, c’est quand on ne fait rien par peur de se tromper. C’est ça, le sud. L' »annacamento » : le maximum de mouvement avec le minimum de déplacement ».

Pourtant, malgré ses critiques, il ne quitte pas Palerme. « Après plus de 60 ans, un mécanisme se met en place, comme dans certains mariages. Où vais-je aller ? Que vais-je faire ? On préfère rester là et se disputer ». La ville est une femme magnifique, mais maladroite, avec son maquillage défait le matin. « Magnifique, certes… mais le lendemain, le réveil est très difficile », dit-il en riant amèrement, avant d’ajouter, avec une pointe d’affection : « Il y a la mer à Mondello, qui aide à tempérer la chaleur estivale ».

La vie dans le Sud, selon lui, est un paradoxe éducatif : « La meilleure classe dirigeante du Sud de l’Italie est expatriée. Nous les élevons, nous les faisons étudier, puis nous les envoyons à l’étranger ». C’est un mythe qui ressemble à Superman : des enfants envoyés loin, loin de leur planète natale, à la recherche d’un avenir que Palerme ne peut leur offrir.

Le journalisme est son métier. Il commence à écrire dans les journaux locaux, passe à la RAI, et en 1992, il participe au « Comité des draps », la révolte civile qui a suivi les massacres de la mafia. Son premier livre, Un lenzuolo contro la mafia (Un drap contre la mafia), est né de cette expérience : une histoire de l’antimafia racontée sans rhétorique, qui marque le début d’une longue carrière.

Et puis il y a le « répertoire des fous » de la ville, une expérience d’écriture essentielle. « C’était vraiment un exercice de style, ramener l’écriture à son degré zéro », raconte-t-il, sans pitié ni ironie. En observant les fous de la rue et les plus cachés, il recueille des histoires qui deviennent un portrait urbain, un guide insolite de Palerme, puis de Paris. Ici, avec une douzaine d’étudiants, il applique la même méthode : recueillir, raconter, réduire les mots à l’essentiel.

La mémoire est sa principale muse. « Je crois plus à la mémoire qu’à l’inspiration. L’inspiration sert à varier la mémoire, à ne pas la rendre servilement identique à elle-même ». Les livres naissent d’expériences vécues, d’histoires vraies, transfigurées par l’écriture pour restituer la réalité sous forme narrative. Notizia del disastro en est un parfait exemple : des témoignages authentiques qui deviennent un roman, car chaque voix raconte la même histoire d’une manière différente.

Entre Palerme et Paris, entre lumière et ombre, entre mémoire et écriture, son travail et sa vie évoluent. La recherche d’une ville lumineuse, la passion pour le mot essentiel, la capacité d’observer et de raconter : tels sont les fils invisibles qui relient chacune de ses expériences, chacun de ses livres, chacune de ses histoires.